Pénurie de puces : Annus horribilis pour l'industrie automobile ?
Après une année 2020 perturbée par la pandémie de coronavirus, 2021 tournera-t-elle au cauchemar pour l'industrie automobile mondiale suite à la pénurie de composants électroniques ? Selon différentes prévisions, les retards de production pourraient toucher 672 000 à 964 000 véhicules cette année.
Peugeot et Citroën (Stellantis) à Sochaux et Rennes, Renault à Sandouville, Volkswagen à Wolfsburg et Emden, General Motors ou Ford en Amérique du Nord… La pénurie mondiale de puces électroniques impacte progressivement tous les constructeurs automobiles, qui sont obligés d’arrêter la production de leurs usines, au moins partiellement, depuis quelques semaines. Alors que le site Renault de Sandouville est fermé lundi 8, mardi 9 et samedi 13 février, et que cette fermeture pourrait se renouveler, selon les annonces faites vendredi 5 février par la direction aux syndicats, en Chine, certaines usines ont d’ores-et-déjà décidé de fermer jusqu’à 14 jours.
Les constructeurs manquent en effet de semi-conducteurs, et plus particulièrement de microcontrôleurs, qui sont devenus indispensables dans les voitures modernes. Par exemple, 38 unités sont nécessaires à bord d’un gros SUV Audi, que ce soit pour le moteur, l’ABS, les airbags, ou encore l’aide au stationnement. Alors que la production des usines est programmée à flux tendus, IHS Markit estime ainsi que la pénurie pourrait retarder la production de 672 000 voitures au premier semestre, dont 250 000 en Chine, tandis que le prix des pièces devrait augmenter. AutoForecast Solutions estime de son côté que cela pourrait impacter la production de 964 000 véhicules sur toute l’année 2021.
Des délais très longs !
Claude Cham, président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (Fiev), estime que plusieurs facteurs se sont additionnés pour aboutir à cette situation. Avec la pandémie, « le fort ralentissement de l’industrie automobile mondiale » au premier semestre 2020 a « entraîné la mise en sommeil temporaire des sources d’approvisionnement, ainsi qu’un décalage des investissements initialement programmés pour répondre à la demande », a-t-il déclaré à l’AFP. Mais selon Mathieu Duchâtel de l’Institut Montaigne, cette pénurie de semi-conducteurs a commencé dès 2019 avec le bras de fer entre les États-Unis et les producteurs chinois Huawei.
Alors que la reprise de l’industrie automobile a été plus rapide et plus forte qu’anticipée, surtout en Chine, ces puces sont également très demandées par d’autres secteurs de l’électronique, comme les téléphones 5G et les ordinateurs, dont la demande a explosé. Selon Bosch, premier équipementier automobile mondial et producteur de certains semi-conducteurs, les fabricants de ces puces ont des délais très longs pouvant aller jusqu’à six mois pour les modèles complexes, ce qui rend difficile une réaction à des variations de la demande à court terme. Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), qui assure 70 % de la production mondiale des microcontrôleurs miniaturisés selon IHS Markit, a toutefois déclaré que ses fonderies tournaient à plein régime, mais que l’industrie automobile était « l’une de ses principales priorités ».
Un coût de 1 à 2,5 milliards de dollars pour Ford.
Pour le patron du producteur allemand de puces Infineon, Reinhard Ploss, « ce n’est pas une situation inédite », puisque le boom de la téléphonie mobile avait déjà provoqué des pénuries de composants en 1999, mais « le fait que tous ces facteurs soient réunis est inhabituel ». Infineon va avancer l’ouverture d’une nouvelle usine, mais l’entreprise estime que la situation « pourrait durer jusqu’à la fin de l’année ». Idem pour le cabinet IHS Markit, qui ne prévoit pas un retour à la normale avant le troisième trimestre. Alors que les constructeurs essaient de trouver des solutions pour faire face à cette pénurie, Ford a annoncé que ces retards de production pourraient lui coûter entre 1 et 2,5 milliards de dollars en 2021.
L’Europe ne représente aujourd’hui que 10 % de la production mondiale, mais treize pays dont la France et l’Allemagne ont annoncé qu’ils allaient s’unir dans ce domaine, avec une aide qui pourrait déboucher sur 50 milliards d’euros d’investissements par le biais d’un Projet important d’intérêt européen commun (PIIEC). Markus Duesmann, directeur R&D du groupe Volkswagen, s’est exprimé en ce sens, puisque cette technologie est « décisive pour le succès du groupe ». Joe Kaeser, patron de Siemens, estime quant à lui que ce sujet est « beaucoup plus important que les logiciels ou le cloud », puisque « la microélectronique est la clé du développement du monde industriel de demain ».